On se demande souvent pourquoi certains jeunes réussissent dans un domaine — la musique, le sport, les maths — alors que d’autres, pourtant tout aussi intelligents, restent au point mort. On parle de don, de chance, d’environnement familial, parfois même de hasard. Chacun avance sa théorie, rarement convaincante.
Un chercheur a néanmoins apporté un éclairage nouveau sur ce sujet : Benjamin S. Bloom. Peu connu en France, son travail reste pourtant une référence mondiale en psychologie de l’éducation. Dans les années 1980, il a suivi de près des jeunes devenus musiciens de haut niveau, scientifiques reconnus ou sportifs internationaux. Sa conclusion, déroutante, tient en une phrase : le talent n’est presque jamais un don. Il se construit, étape par étape.
Cette idée, aujourd’hui confirmée par de nombreux chercheurs (Ericsson et al., 1993 ; Bandura, 1997 ; Dweck, 2007), bouscule une vision tenace : celle du “don” inaccessible. Elle montre que l’excellence scolaire, artistique ou sportive résulte rarement d’un miracle, mais plutôt d’une succession de contextes favorables, d’efforts soutenus et de rencontres décisives.
Bloom décrit trois grandes étapes, observées chez presque tous les jeunes talents qu’il a étudiés. Ce n’est pas un modèle magique ; plutôt une manière de comprendre comment un enfant grandit, s’approprie un domaine, puis finit par s’y épanouir. Et ces étapes, nous les voyons tous les jours chez nos élèves.
À Ipécom Paris, ces questions sont au cœur de notre travail au lycée : pourquoi certains lycéens prennent-ils soudain confiance et s’envolent, tandis que d’autres restent bloqués alors qu’ils ont le même potentiel ? Les travaux de ce scientifique offrent un cadre utile pour comprendre ces trajectoires et mieux accompagner chaque élève.
1. Le début de l’histoire : la découverte, presque par hasard
Ce qui frappe, en lisant les entretiens menés par Bloom (1985), c’est la simplicité des débuts : une première chanson au piano avec une professeure pleine de douceur. Une séance de piscine proposée par un parent sportif. Un petit défi arithmétique pendant un après-midi pluvieux. Rien de spectaculaire. Un léger déclic.
L’enfant ne pense pas à devenir “excellent”. Il ne pense même pas à apprendre. Il joue. Il explore. Il goûte quelque chose qui lui donne envie de revenir. Et surtout, il se sent encouragé — ce point est essentiel. Les neurosciences ont largement confirmé ce rôle fondamental du plaisir dans l’apprentissage (Howard-Jones, 2014).
À ce stade, les professeurs qui comptent ne sont pas nécessairement des experts de renommée mondiale. Ce sont ceux qui savent déclencher l’envie. Ils donnent du sens, ils rassurent, ils accueillent les premières maladresses. Leur enthousiasme est contagieux. Pas de technique complexe : juste le courage de commencer.
Les parents jouent, eux aussi, un rôle subtil et décisif. Bloom décrit des foyers chaleureux, attentifs, où l’on valorise l’effort, la curiosité, la lecture, les jeux constructifs. Pas de pression, sinon de l’intérêt sincère. Un climat qui dit en filigrane : « Ce que tu fais compte. Continue. »
L’auteur raconte par exemple l’histoire d’une future pianiste de renommée internationale dont tout est parti… d’un petit clavier jouet, offert presque au hasard. Ce n’était pas l’instrument qui comptait, mais le regard émerveillé de la mère, l’encouragement d’un premier professeur qui applaudissait chaque progrès. À ce stade, une simple graine suffit, si le terrain est fertile.
2. Le moment du sérieux : quand on décide d’avancer
L’adolescence arrive, et avec elle une prise de conscience : si je veux progresser, il va falloir m’entraîner. Cette deuxième phase demande plus qu’un simple enthousiasme. Elle demande du travail, de la patience, parfois de la frustration. Mais elle donne aussi un sentiment nouveau : la conviction que l’on peut véritablement devenir bon.
Les recherches sur la motivation montrent que ce passage du “plaisir spontané” au “travail structuré” dépend fortement du sentiment d’efficacité personnelle (Bandura, 1997). Autrement dit : l’élève doit sentir qu’il peut y arriver.
Essaie encore. Là, tu peux faire mieux. Regarde ce détail.
Le rôle du professeur change donc profondément. Il doit encourager et corriger. Exiger sans décourager. Donner des objectifs clairs. Faire sentir à l’élève que chaque effort, même minuscule, construit quelque chose.
Pour les parents, c’est le moment de soutenir autrement : en organisant le temps, en facilitant les déplacements, en permettant la participation à un stage, à un atelier, à une compétition. On entre dans le concret. Dans l’engagement réel.
Beaucoup d’élèves d’Ipécom Paris arrivent précisément à ce moment de leur parcours. Ils sentent qu’ils doivent franchir un palier. Ils veulent progresser, cependant ils ignorent encore comment structurer leurs efforts. Cette transition peut être rude, mais bien accompagnée, elle est l’une des plus fécondes.
Un nageur de l’étude raconte qu’à 12 ans, il adorait la piscine, et à 14 ans, il s’est découvert un objectif : améliorer son temps de quelques secondes. Ce simple objectif a transformé un loisir en discipline. Et c’est exactement ce que vivent de nombreux lycéens lorsque, soudain, ils comprennent qu’une méthode, appliquée avec sérieux, produit des résultats visibles.
3. Le niveau supérieur : la maîtrise, enfin
La troisième étape, celle de la maîtrise, n’est pas réservée aux “génies”. Elle appartient à ceux qui ont persévéré. À ce stade, l’activité n’est plus seulement un hobby ou un exercice scolaire. Elle devient une identité.
- On ne joue plus du piano : on est pianiste.
- On ne fait plus des maths : on pense comme un mathématicien.
- On ne nage plus : on vit dans l’eau.
Les jeunes qui atteignent cette étape rejoignent souvent des environnements plus exigeants : une classe préparatoire, un conservatoire, un laboratoire, une équipe sportive professionnelle. Ils y rencontrent un mentor, au sens fort du terme. Quelqu’un qui exige l’excellence et qui, par son exemple, donne envie d’aller plus loin.
Les parents, cette fois-ci, s’effacent légèrement. L’adulte jeune prend place. Il choisit, assume, s’engage. Ce basculement est confirmé par de nombreuses études sur le développement de l’expertise (Ericsson & Charness, 1994).
Ce que tout cela change pour nous
On pourrait croire que ces histoires n’appartiennent qu’aux “enfants prodiges”. Pourtant, Bloom comme les chercheurs qui lui ont succédé le disent clairement : la majorité des élèves peuvent atteindre un niveau bien supérieur à ce que l’école leur promet aujourd’hui, si l’on réunit les bonnes conditions.
Ce qui fait la différence, ce ne sont pas des dons mystérieux. Ce sont :
- des professeurs qui allument une étincelle,
- des parents qui soutiennent sans étouffer,
- un cadre clair,
- des objectifs réalistes et ambitieux,
- du temps, de l’effort et de la patience.
C’est aussi le constat de la psychologie moderne : les compétences se développent, s’entraînent, se transforment (Dweck, 2007).
À Ipécom Paris, nous voyons chaque année des élèves se révéler : certains reprennent confiance après des années difficiles ; d’autres osent pour la première fois viser haut ; d’autres encore se découvrent une passion tardive et profonde. Le modèle de Bloom n’est pas une théorie abstraite : c’est ce que nous observons, au quotidien.
Bloom rapporte le cas d’un jeune mathématicien qui, après des années d’entraînement, s’est mis à inventer ses propres problèmes au lieu de simplement résoudre ceux qu’on lui donnait. C’est cela, la maîtrise : le moment où l’on n’imite plus, on crée.
Dans une classe aujourd’hui :
Phase 1 ressemble à un élève qui découvre qu’il adore un thème sans oser l’avouer. Phase 2 se voit lorsque cet élève commence à demander des exercices supplémentaires “pour comprendre vraiment”. Phase 3 apparaît lorsqu’il aide les autres ou commence à inventer ses propres stratégies. Nos enseignants savent reconnaître ces signaux et les accompagner.
Quelques pistes simples, pour aujourd’hui
Pour un élève :
- Ne te juge pas trop vite. Tes capacités ne sont pas figées.
- Autorise-toi à repartir de zéro dans une matière.
- Cherche la régularité, pas la perfection.
- Quand un professeur croit en toi, prends-le au sérieux.
Pour un parent :
- Encouragez l’effort, même discret.
- Évitez les étiquettes définitives.
- Offrez des occasions, pas des obligations.
Pour un professeur :
- Vous êtes souvent l’étape n°1 du parcours.
- Votre enthousiasme donne un élan que rien ne remplace.
- Votre exigence, au bon moment, transforme l’élève.
Conclusion : l’excellence n’est pas un miracle
L’étude n’est pas un guide pour fabriquer des génies. C’est une manière profondément humaine de regarder un jeune en devenir. Elle rappelle que le potentiel est souvent invisible, discret, fragile — mais bien réel.
Notre responsabilité d’adultes est simple : créer les conditions pour que ce potentiel s’exprime. Chez chacun. Pas seulement chez quelques-uns.
Questions fréquentes
Le talent est-il vraiment accessible à tous ?
Bloom, comme Dweck et Bandura après lui, montre que le potentiel est bien plus plastique qu’on le pense. Tous les élèves ne deviendront pas musiciens de haut niveau ou chercheurs, mais presque tous peuvent atteindre un niveau bien supérieur à celui qu’ils imaginent.
À quel âge commence la “construction du talent” ?
Beaucoup plus tôt qu’on ne le croit : entre 5 et 10 ans pour ce qui concerne le plaisir d’apprendre, et entre 12 et 16 ans pour la structuration de l’effort. Mais de nombreux talents émergent tard — à l’université, voire après.
Comment un parent peut-il favoriser l’émergence du talent ?
En créant un environnement chaleureux, riche, stimulant, où l’on valorise l’effort plus que le résultat. Le soutien émotionnel est plus déterminant que la pression.
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Références
- Bandura, A. (1997). Self-efficacy: The exercise of control. W.H. Freeman.
Disponible via APA PsycNet :
https://psycnet.apa.org/record/1997-08589-000 - Bloom, B. S. (1985). Developing Talent in Young People. Ballantine Books.
Aperçu Google Books :
https://books.google.fr/books/…Developing_Talent_in_Young_People - Dweck, C. S. (2007). The perils and promises of praise. Educational Leadership, 65(2), 34–39.
Texte complet :
https://www.ascd.org/el/articles/the-perils-and-promises-of-praise - Ericsson, K. Anders. (1993). *The role of deliberate practice in the acquisition of expert performance.* Psychological Review, 100(3), 363–406.
DOI :
https://doi.org/10.1037/0033-295X.100.3.363 - Ericsson, K. A., & Charness, N. (1994). Expert performance: Its structure and acquisition.American Psychologist, 49(8), 725–747. DOI : https://doi.org/10.1037/0003-066X.49.8.725
- Howard-Jones, P. A. (2014). *Neuroscience and education: myths and messages.* Nature Reviews Neuroscience, 15(12), 817–824.
Texte :
https://www.nature.com/articles/nrn3817

