Briser le cercle des inégalités : vers une école plus juste et équitable

Les inégalités scolaires en France

En France, l’école est un symbole fort. Depuis des générations, elle incarne l’idée d’égalité, de mérite et de promotion sociale. Pourtant, la réalité est plus complexe. Au lieu d’effacer les différences d’origine sociale, le système scolaire tend à les accentuer. Dès l’école primaire, on observe des écarts de niveau liés aux milieux familiaux, écarts qui s’élargissent au collège, au lycée, puis dans l’enseignement supérieur. Ces inégalités consolidées au fil de la scolarité favorisent la reproduction sociale, où les enfants de milieux aisés accèdent plus facilement aux filières les plus exigeantes et les plus prestigieuses, tandis que les enfants de milieux défavorisés peinent à progresser, s’orientent par défaut ou décrochent prématurément.

Ce constat, déjà bien documenté par les chercheurs, est mis en lumière dans un article paru le 29 novembre 2024 dans la revue de l’École polytechnique, Polytechnique Insights, rédigé par Guillaume Hollard, professeur d’économie à l’École polytechnique (IP Paris), et Camille Peugny, professeur de sociologie à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Intitulé « L’école, reproductrice de destins sociaux », cet article s’appuie sur des données récentes pour illustrer, chiffres à l’appui, l’ampleur de ces inégalités.

Une réalité bien documentée dès le plus jeune âge

Les élèves n’arrivent pas égaux à l’école. Les enfants issus de milieux défavorisés ont souvent un vocabulaire plus restreint, moins de ressources culturelles, et rencontrent plus de difficultés à s’adapter aux exigences scolaires. Ce constat n’est pas propre à la France. Dans tous les pays, on observe des écarts initiaux. La différence, c’est que dans l’Hexagone, ces écarts ne se réduisent pas au fil de la scolarité, ils se creusent.

Selon Camille Peugny, « contrairement à d’autres pays, l’école française ne parvient pas à réduire l’écart initial ; au contraire, il se creuse tout au long de la scolarité ». Le rapport « Scolarités. Poids des héritages » (France Stratégie, 2 023) confirme ce diagnostic. À l’entrée au collège, 19,4 % des élèves issus de milieux modestes ont déjà redoublé, contre 8,3 % des élèves favorisés. Ainsi, dès la 6e, un fossé est déjà visible. Un retard scolaire précoce implique un risque accru de décrochage ultérieur et réduit d’emblée la probabilité d’accéder aux filières les plus valorisées.

L’orientation, un filtre socialement discriminant

Les inégalités scolaires ne se limitent pas aux performances : elles se manifestent aussi à travers l’orientation. À mesure que l’on avance dans le parcours éducatif, les choix de filières reflètent de plus en plus les origines sociales. Les filières généralistes et technologiques prestigieuses, puis les classes préparatoires aux grandes écoles, sont majoritairement fréquentées par des étudiants de milieux aisés.

D’après l’article de Polytechnique Insights, environ 80 % des lycéens favorisés poursuivent en Seconde générale et technologique, contre seulement 36 % des élèves d’origine modeste. Dans l’ancienne filière S, avant la réforme du baccalauréat, on retrouvait près de 35 % de lycéens favorisés, contre à peine 7,5 % d’élèves défavorisés. Ce tri social s’accentue dans l’enseignement supérieur, où les classes préparatoires, pourtant massifiées, demeurent le bastion d’étudiants issus de milieux culturellement et économiquement favorisés.

Les chercheurs Hollard et Peugny soulignent que la répartition des élèves dans ces filières d’élite reflète également des inégalités géographiques. Un ancien lycéen parisien, à notes égales, a six fois plus de chances d’intégrer une grande école prestigieuse (Polytechnique, HEC, ENS Ulm) qu’un ancien lycéen de province. Cette concentration francilienne (32 % des effectifs de CPGE) et l’entre-soi social qu’elle génère témoignent de la difficulté pour les élèves défavorisés, souvent moins informés et moins accompagnés, à pénétrer ces filières sélectives.

La reproduction sociale : un cercle vicieux difficile à briser

La conséquence la plus visible de ce phénomène est la reproduction sociale. Les enfants de cadres, de professions libérales ou d’enseignants accèdent plus fréquemment à des emplois d’encadrement. Les enfants d’ouvriers, d’employés ou de chômeurs, quant à eux, se dirigent plus souvent vers des emplois d’exécution ou quittent le système scolaire avec un diplôme peu valorisé. Certes, il existe des parcours individuels atypiques, des exceptions brillantes qui prouvent que rien n’est totalement figé. Mais la tendance globale reste claire : le milieu d’origine pèse lourd dans le destin scolaire et professionnel.

Pourquoi le système français ne parvient-il pas à endiguer ces inégalités, alors même que la France investit beaucoup dans son éducation ? L’une des raisons avancées par Camille Peugny est que notre système s’est historiquement structuré autour de la sélection précoce d’une élite, valorisant la compétition, l’excellence, et la performance individuelle. On évalue tôt, on trie rapidement, et on alloue relativement moins de ressources à la maternelle et au primaire qu’ailleurs dans l’OCDE. L’école, au lieu de compenser les écarts, les cristallise.

L’importance de l’information et de la confiance en soi

Pour tenter de réduire ces écarts, l’article de Polytechnique Insights s’intéresse à des pistes concrètes, issues de recherches récentes en économie et en éducation. Informer davantage les élèves sur leur position réelle dans la distribution des notes, leur donner des repères objectifs, permettrait de corriger le phénomène de sous-confiance, fréquent chez les filles et les élèves défavorisés. Ces derniers intériorisent parfois des stéréotypes, se jugent moins capables et n’osent pas s’orienter vers des filières d’excellence.

L’intelligence artificielle, le traitement des données massives issues des logiciels de vie scolaire (comme Pronote) pourraient fournir des outils d’aide à la décision. En montrant à l’étudiant qu’il possède un niveau suffisant pour réussir dans une filière plus exigeante, on l’encourage à ne pas s’autocensurer. Une version bêta de ce type d’outil devrait être testée dès la rentrée 2025-2026. Cette approche n’est pas une solution miracle, mais elle constitue une piste prometteuse pour corriger certains biais d’orientation.

Agir sur l’ensemble du système : au-delà de la simple information

L’information, pour utile qu’elle soit, ne suffira pas. Agir sur les inégalités scolaires nécessite une approche globale. Cela commence par un investissement accru dans les premières années de la scolarité, pour donner à tous un socle solide. Accompagner plus étroitement les enfants au collège et au lycée, développer le tutorat, la remédiation, les aides personnalisées : autant de leviers qui peuvent permettre de limiter le décrochage scolaire, d’élargir les horizons et de renforcer la confiance des apprenants.

Il s’agit également de repenser la valeur accordée aux différentes filières. La réussite ne doit pas se résumer à intégrer une grande école prestigieuse. Valoriser les voies professionnelles, technologiques, économiques, littéraires, artistiques, c’est reconnaître la diversité des talents et des aspirations. Le monde du travail recherche une variété de compétences, et l’école devrait encourager cette pluralité plutôt que de consacrer un modèle unique d’élitisme scolaire.

Le point de vue d’Ipécom Paris : une école privée consciente et responsable

Nous sommes bien placés pour comprendre cette problématique. Notre établissement privé, situé dans un quartier favorisé de la capitale, accueille souvent des familles déjà très sensibilisées à l’importance de l’éducation. Nous préparons nos élèves à réussir dans des filières exigeantes. Mais nous ne sommes pas aveugles : l’inégalité des chances existe, et notre rôle est aussi d’y contribuer à notre échelle.

Comment faire ? D’abord, en proposant un accompagnement personnalisé à tous nos collégiens et lycéens. En matière d’orientation, nous pouvons fournir une information claire, réaliste, mais encourageante. Nous pouvons démystifier les filières d’élite, montrer qu’elles ne sont pas réservées à une élite sociale. Nous pouvons également réfléchir à des programmes de bourse, des partenariats avec des associations pour identifier et soutenir des jeunes prometteurs issus de milieux plus modestes. Il s’agit de diversifier les profils de nos apprenants, d’enrichir le collectif, et de s’engager pour plus d’équité.

En interne, nous pouvons former nos enseignants et nos conseillers d’orientation à la détection des biais inconscients, afin qu’ils n’orientent pas certains élèves vers des filières moins valorisées simplement parce qu’ils manquent de confiance ou de soutien familial. Sensibiliser les familles également, afin qu’elles ne limitent pas les ambitions de leurs enfants par peur de l’échec ou méconnaissance des parcours possibles.

Apprendre tout au long de la vie : un horizon pour contrer les déterminismes

Comme le rappelle Camille Peugny, l’éducation ne s’arrête pas avec la fin des études secondaires ou supérieures. La formation tout au long de la vie est un moyen de corriger a posteriori les inégalités initiales. Une société plus égalitaire doit offrir la possibilité à chacun de se former, de rebondir, de développer de nouvelles compétences, même si le parcours scolaire n’a pas été linéaire.

Au-delà de l’école, la lecture, les voyages, le travail, les échanges interculturels, la formation continue offrent autant de voies pour s’émanciper. Ainsi, l’inégalité des chances, si dure soit-elle, n’est pas une fatalité irréversible. C’est un défi à relever, un horizon vers lequel tendre.

Conclusion : vers une école plus juste

Les données présentées dans l’article de Polytechnique Insights, renforcées par de nombreux rapports et études, démontrent l’ampleur des inégalités scolaires en France. Celles-ci ne sont pas des anomalies isolées, mais le symptôme d’un système qui peine à se réformer en profondeur. Elles engendrent une reproduction sociale qui limite la mobilité et bride les ambitions de trop nombreux jeunes.

Chez Ipécom Paris, nous assumons notre part de responsabilité dans ce débat. Nous ne pouvons certes pas changer le système à nous seuls, mais nous pouvons apporter notre pierre à l’édifice. Informer, comprendre, s’ouvrir, dialoguer, proposer des solutions concrètes (bourses, partenariats, orientation éclairée) : autant d’actions possibles pour contribuer à bâtir une école plus juste.

L’idéal républicain est celui d’une égalité des chances authentique. Il ne s’agit pas de nier les différences, mais de s’assurer qu’elles ne deviennent pas des barrières infranchissables. Ensemble, travaillons à faire de l’école non pas un miroir cruel des inégalités sociales, mais un tremplin vers plus de justice et de diversité.

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Par Annie Reithmann

Directrice IPECOM. DEA de Philosophie, spécialiste des méthodes d'apprentissage. En 1996 elle prend seule la direction d’Ipécom Paris.